Entretien croisé avec Yann Desdouets, délégué général, et Agathe Thivet, chargée de Missions sociales de la Fondation de France Grand Ouest.
Quelle est la genèse de Pétillantes Initiatives ?
Yann Desdouets : Pétillantes initiatives s’inscrit dans le programme national Dynamiques territoriales qui part d’un constat interne : plutôt que de travailler en silo autour de thématiques – comme l’emploi, le handicap, l’environnement…- nous pouvions partir d’un territoire et agir en « multicauses » à partir des réalités socio-économiques de celui-ci. Pour Pétillantes Initiatives, nous avons ainsi identifié des problématiques très concrètes en matière de mobilité, d’accès à la culture ou de prise en charge sanitaire et sociale par exemple. Lors de ce temps initial d’analyse réalisé avec Ellyx, nous avons été vigilants à ne pas nous arrêter aux difficultés pour s’appuyer aussi sur les acquis et les forces du territoire. Il s’agissait ensuite de positionner une série de grands enjeux et de réfléchir en mobilisant les acteurs territoriaux pour coconstruire des solutions concrètes à certaines de ces problématiques.
Agathe Thivet : Nous avions également l’ambition de redonner du pouvoir d’agir aux habitants en partant du principe qu’ils étaient aussi ceux qui détenaient les solutions pour eux-mêmes et leur territoire. C’est la raison pour laquelle nous avons imaginé deux moyens de solliciter un accompagnement dans le cadre de Pétillantes Initiatives. D’une part, nous avons lancé un appel à projets plutôt destiné aux structures associatives portant des projets collectifs, travaillant en réseau et associant étroitement les habitants. D’autre part, ces derniers avaient aussi la possibilité de déposer des idées de projet que nous pourrions accompagner ultérieurement dans leur mise en œuvre, notamment avec l’appui méthodologique d’Ellyx. Finalement, nous avons reçu 111 projets et 60 idées. Au total, nous avons accompagné 52 projets et 28 idées, dont 7 furent transformées en projet.
Comment avez-vous mené l’expérimentation ? Quelle était la place de la coopération dans l’opération ?
YD : Nous avons mobilisé une équipe de bénévoles, avec une personne référente sur place qui faisait le lien entre la FDF et les acteurs locaux. Ce fut un prérequis important car cela nous a permis de créer un vrai dialogue, en continu, avec le territoire. Nous avions certes une route assez balisée autour de l’appel à projet mais nous avions aussi fait le fait le choix dès le départ de la temporalité longue, avec un programme de 5 ans (plus un en raison de la pandémie de covid-19). S’ancrer sur un territoire prend du temps et il est important de se l’accorder. C’est ce qui nous a autorisé à avoir une approche empirique et expérimentale avec une pluralité d’acteurs. Les premiers projets ont pu être présentés officiellement au bout de 12 à 18 mois. En milieu de programme, nous nous sommes encore plus investis sur l’animation de la communauté d’acteurs pour favoriser les échanges et l’interconnaissance.
AT : L’un des enjeux au démarrage fut de se faire identifier et de faciliter la diffusion des Pétillantes Initiatives sur le territoire. Il aura fallu environ un an pour que l’appel à projet soit bien diffusé et relayé : nous avons participé à des forums associatifs, pris le temps d’informer toutes les communes, de rencontrer un grand nombre de maires… Nous avons également organisé plusieurs temps collectifs en essayant à chaque fois de convier un maximum d’acteurs institutionnels du territoire pour les associer à la démarche et les inviter à prendre le relais. Cette approche fut particulièrement appréciée des acteurs associatifs qui avaient alors peu l’occasion de se rencontrer. Ils ont ainsi pu échanger et être ressources les uns des autres.
“S’ancrer sur un territoire prend du temps et il est important de se l’accorder. C’est ce qui nous a autorisé à avoir une approche empirique et expérimentale avec une pluralité d’acteurs.”
Quelle était la place de la coopération dans l’opération ?
YD – En phase de démarrage, le critère de la coopération était surtout de bien s’assurer que les porteurs de projets travaillaient en lien avec les autres acteurs du territoire concernés. Ensuite, toujours dans cette optique de coopération, l’intervention d’Ellyx portait sur l’accompagnement méthodologique des acteurs avec du suivi individuel et, en parallèle, du suivi collectif pour qu’ils puissent croiser leur regard et travailler ensemble. Cela reste cependant perfectible car il y a toujours le fameux écart entre la collaboration et la coopération, mais inventer ensemble ne se fait pas d’un claquement de doigt. Il y a divers freins pas toujours évidents à lever et notre rôle d’acteur de la philanthropie doit rester neutre : notre ambition c’est d’impulser des dynamiques en complémentarité de tout ce qui est déjà fait par des collectivités. Nous créons de la confiance autour de dimensions d’intérêt général et agissons comme une tête chercheuse pour révéler les talents des territoires.
AT – Avant de coopérer, il faut se connaitre, comprendre ce qu’on peut gagner et là aussi, il faut prendre l’échelle du temps long. C’est souvent des relations de personne à personne. Cette relation interpersonnelle est valable pour Ellyx, qui accompagnait alors les porteurs d’idées. C’est parce que nous avions une relation qualitative où on pouvait s’interpeller facilement, qu’Ellyx était en mesure de favoriser la mise en réseau à la fois avec nous, Fondation de France, mais aussi des acteurs entre eux, en lien étroit avec notre référente bénévole « Dynamiques Territoriales ». Cependant, le temps de la coopération n’est pas forcément financé et les dispositifs comme les appels à projets peuvent donner le sentiment de mettre les acteurs en concurrence et donc freiner des coopérations plus poussées. C’est pourquoi nous avions aussi initié un accompagnement commun avec France Active Pays de la Loire à destination des associations du Saumurois pour suivre un temps méthodologique autour des logiques de coopération.
Avant de coopérer, il faut se connaitre, comprendre ce qu’on peut gagner et là aussi, il faut prendre l’échelle du temps long. C’est souvent des relations de personne à personne.
Quels enseignements en tirez-vous ?
YD – Une des limites identifiées, au-delà de travailler ensemble, c’est surtout que les acteurs ne sont pas équipés pour le faire. Ce prérequis est sûrement un des forts freins à la coopération et en termes de besoins, il y a surement la nécessité de renforcer l’accompagnement en ce sens. Cela pourrait être une des pistes pour demain en complément du travail d’animation et de mise en lien qui est déjà opéré sur les territoires. Au niveau de la Fondation, c’est un programme qui a impulsé la réflexion sur nos pratiques, nos manières de travailler avec différents porteurs de projets et qui va modifier nos modes opératoires de demain. Nous allons chercher à favoriser le mode projet entre associations et institutionnels pour les faire grandir et répondre aux enjeux du territoire. Un autre enseignement est que les personnes seules pouvaient mettre en œuvre ou fédérer aussi des belles dynamiques collectives (ndlr : voir ci-dessous). Le programme Pétillantes Initiatives a aussi pu être créateur de liens. Grâce à cette animation d’acteurs, certains ont mené des projets en commun par la suite.
AT – Nous nous sommes autorisés à prendre plus de risques, notamment en accompagnant parfois des projets qui n’auraient pas été retenus sur d’autres appels à projets thématiques, car jugés trop en amont. Le canal de remontée d’idées nous permettait aussi de renvoyer certains projets sur un accompagnement méthodologique avant de l’appuyer financièrement. Nous avons ainsi pu identifier au démarrage des initiatives qui, au final, ont grandi tout au long du programme parce qu’on s’est autorisé à financer des structures sur plusieurs années. C’est vraiment quelque chose que les porteurs de projets nous ont renvoyé : le fait que Pétillantes Initiatives avait permis le droit à l’expérimentation et à la lenteur pour se développer.
“Une des limites identifiées, au-delà de travailler ensemble, c’est surtout que les acteurs ne sont pas équipés pour le faire.Ce prérequis est un des freins à la coopération et en termes de besoins, il y a sûrement la nécessité de renforcer l’accompagnement”
Quels sont vos projets à venir ?
YD – Nous lançons la version 2.0 du programme en Bretagne. Ce qui la différencie c’est le mode d’arrivée sur le territoire : nous avons créé un comité de pilotage en amont avec des acteurs associatifs et des collectivités pour les associer à la démarche. C’est une manière de faire un peu différente, avec une vraie posture d’écoute et des interactions nouvelles. Là, l’idée c’est d’entrer plus en amont sur les projets et de parler des enjeux d’un territoire qui peuvent être multi-thématiques et transversaux et voir quelles réponses peuvent être apportées de manière plus collective. Par ailleurs, impliquer les entreprises du territoire nous semble aussi important car elles créent de la valeur ajoutée sur le territoire avec une RSE de plus en plus présente.
AT – Sur ce programme, nous souhaitons aussi accompagner différemment sans passer par un appel à projets. Nous identifions en direct des projets, qu’on veut « structurant », grâce aux bénévoles locaux et aux rencontres que nous menons sur le territoire. Notre objectif ici est de travailler en partenariat avec les acteurs locaux pour les aider à développer leur projet, cela passe par : un accompagnement financier et pluriannuel plus conséquent pour donner de la stabilité et du souffle au structure, et un accompagnement extra-financier co-construit pour répondre aux besoins des acteurs (mise en réseau, accompagnement méthodologique, conseils…). Nous avons organisé deux rencontres avec une centaine d’acteurs associatifs, institutionnels, des fondations… pour faire émerger des idées de solutions pour le territoire co-construites ensemble. L’idée est aussi de fédérer d’autres philanthropes à nos côtés, pour, pourquoi pas les financer.
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