Nous ne vivons pas une crise politique, ni même seulement une crise de régime. Nous vivons une crise de société, que des élections législatives ne sauraient résoudre à elles seules.
Il convient de regarder bien en amont les circonstances ayant abouti à la dissolution de l’Assemblée nationale, et admettre que cet événement vient entériner un lent délitement du contrat social, des institutions, et des pratiques démocratiques. Ce délitement se traduit par des tensions qui se multiplient dans la société : la crise des Gilets jaunes, les affrontements à Sainte Soline, l’impossible négociation sur le régime des retraites, la colère des agriculteurs. Tensions qui n’ont été que des témoignages récents de notre incapacité à dialoguer pour traduire la confrontation des idées en action collective.
Les défis démocratiques, écologiques, sociaux, économiques et culturels auxquels nous sommes simultanément confrontés sont éminemment complexes et systémiques. Si nous n’améliorons pas radicalement notre capacité à les analyser, à en débattre et à y répondre par des démarches patiemment négociées, donnant à chacun la possibilité d’être entendu et d’être considéré, la cohésion de la société n’y résistera pas.
Les conditions sont réunies pour que cette crise s’amplifie et s’exacerbe : une fonction présidentielle affaiblie, incapable de jouer le rôle d’arbitre que lui assigne la Constitution ; des alliances électorales réalisées à la hâte ; des programmes de gouvernement qui ne peuvent être ni appropriés, ni discutés, ni débattus au regard des échéances électorales. Les logiques institutionnelles comme les pratiques et comportements politiques contribuent dès lors à brutaliser le débat, à nourrir les stigmatisations, à disqualifier les propositions constructives. Quelle que soit l’issue du scrutin, elle ne suffira pas à dissiper le climat de ressentiments et de tensions. Au moment des Jeux Olympiques qui placeront notre pays sous les projecteurs du monde, nous risquons fort de donner le spectacle d’une France qui se déchire, divisée et impuissante.
Ce scénario n’est pas une fatalité. A la victoire d’un camp, nous devons substituer le triomphe de tous. Travailler à régénérer la Société. Construire les réponses à la hauteur des défis qui nous font face. Comme préalable mais aussi comme moteur à la sortie de cet état de sidération et de crainte qui nous a assailli depuis le 9 juin, quatre démarches nous paraissent décisives.
La première est de préparer une transition institutionnelle, qui soit pacifique et démocratique. Cette transition doit aboutir, de manière ambitieuse, à réaligner nos organes de gouvernement institutionnel, autour d’une éthique d’action, des principes et des pratiques de décision collective et de co-responsabilité. Elle doit être ancrée aussi dans les institutions locales, et s’appuyant sur les acteurs de la société civile, associations, syndicats, entreprises, qui concourent à répondre quotidiennement aux besoins de la société. Notre système institutionnel est aujourd’hui à bout de souffle, construit autour de défis et d’objectifs trop éloignés de ceux qui nous sont contemporains. Et nul système démocratique ne peut se satisfaire durablement d’une abstention de la moitié du corps électoral, du désintérêt envers la chose publique, ou de la médiocrité des débats qui l’animent actuellement.
La deuxième est d’amorcer une réflexion collective sur ce qui doit refonder, au XXIème siècle, notre contrat social. Le consentement à l’impôt et le sentiment d’une destinée nationale commune ne sont pas suffisants pour garantir la vitalité de ce contrat. Il s’agit également de (re)poser ce qui fait valeur et richesse, à l’heure des périls écologiques et autocratiques. Et de définir comment cette valeur se crée, se protège, se partage.
La troisième est de garantir les conditions par lesquelles peuvent être expérimentées et mises en oeuvre, sur les territoires, des actions répondant directement aux besoins des personnes : réintroduction des services de proximité en zones rurales ou dans les quartiers, élargissement de la couverture de soin et de santé, mise en place d’activités économiques de proximité, etc. Cette action au plus près des citoyens, et avec leur concours direct, doit témoigner de l’attention des acteurs publics comme privés à s’engager ensemble et sur du long terme.
La quatrième est d’engager collectivement un renforcement démocratique de nos organisations, entreprises, associations, collectivités, en termes de pratiques comme de culture. Pour prospérer dans les arènes politiques, la démocratie doit être vivifiée par le bas, et à partir de nos lieux de vie, de loisirs et de travail. Elle doit s’incarner partout et chaque jour, se traduire dans l’exercice de nos droits comme de nos devoirs. Apprendre collectivement à mieux partager la décision, les connaissances, le pouvoir ; savoir délibérer, accueillir la parole de l’autre, s’entendre pour ensuite coopérer. Les organisations, les espaces et les événements qui nous rassemblent, places, marchés, bistrots, fêtes, doivent redevenir les zones de l’expression citoyenne, et apparaître comme le coeur battant d’une démocratie revivifiée.
Nous sommes à des titres divers, citoyens, élus, chercheurs, acteurs associatifs, chefs d’entreprise, praticiens de l’action collective, de la coopération sur les territoires et de l’innovation sociale. Nous croyons en l’intelligence collective de celles et ceux qui habitent ce pays. Faisons de cette séquence le témoignage de notre maturité démocratique. Sur ce chemin, nous pouvons tous nous retrouver, contribuer, et avec tous les acteurs mus par l’envie d’agir et le souci de l’intérêt général, écrire le récit positif du temps présent. Notre premier acte, par cette tribune, est d’affirmer l’objectif de transition institutionnelle et notre engagement à y prendre notre part.
Cet appel a reçu plus 50 soutiens dont les suivants :
Les premiers signataires :
- Jérémy Bremaud, gérant de la Scop Ellyx et les 21 salarié.e.s engagé.e.s dans la démarche
- Agathe Leblais, présidente de La Fonda
- Jean Fabre, ancien haut fonctionnaire de l’ONU
- Yannick Blanc, président de Futuribles International
- Nadine Richez-Battesti, économiste, Aix-Marseille Université et Lest-CNRS
- Guy Le Charpentier et Nicolas Roumagne, directeurs associés de l’ESUS ReSanté-Vous
- Azdine Benyoucef, directeur artistique de la compagnie Second Souffle
- Florine Jollivet, directrice d’association d’éducation populaire et entrepreneuriat coopératif avec les jeunesses
- Franck David, co-fondateur de SaluTerre et des Râteleurs
- Dominique Royoux, professeur émérite de géographie à l’Université de Poitiers
- Anne Beauvillard, co-fondatrice de l’Institut des Territoires Coopératifs
- Stéphane Vincent, délégué général 27ème Région
- Yann Raineau, économiste à l’INRAE
- Olivier Lenoir, co-fondateur et président, Osons Ici et Maintenant
- Laure-Hélène Landreau, présidente co-directrice générale Osons+
- Valentin Chaput, co-fondateur et directeur général d’Open Source Politics
- Olivier Desagnat, co-fondateur de “D’Asques et D’Ailleurs” et de la “La Dauge”
- Patrick Viveret, co-fondateur des Dialogues en humanités, écrivain, philosophe et conseiller honoraire à la Cour des Comptes
- Geneviève Ancel, co-fondatrice des Dialogues en Humanité, présidente du Comité Français pour l’UNICEF de la région Rhône Loire Ain
- Sylvain Lhuissier, fondateur de Le Sens D’abord
- Catherine Dolto, médecin, haptothérapeute, et écrivain (livres sur la santé des enfants), présidente de l’association « Archives et documentation Françoise Dolto
- François Rouzé, co-fondateur de l’association Le Temps du Vent, charpentier de monuments historiques, chercheur en IA, armateur de vieux gréments dans les Caraibes
- Marie Ferru, professeure des Universités
- Vincent Enard, directeur général, Régie de Quartier Diagonales
- Charlotte Dudignac, design de coopération et d’innovation sociale
- Yoan Ollivier, co-fondateur de Vraiment Vraiment
- Hervé Defalvard, économiste, responsable de la chaire ESS de l’université Gustave Eiffel
- Thierry Ferreira, enseignant-chercheur en Biologie Cellulaire et Génétique, Université de Poitiers
- Stéphane Montuzet, président de la CRESS Nouvelle-Aquitaine
- Thibault Cuenoud, professeur associé, Excelia
- Jean-Baptiste Maurin, directeur général de la fondation INFA
- Charlotte Moure, directrice de la communication de la fondation INFA
- Thierry du Bouetiez, président de GNIAC
- David Rincon, directeur, Le Centsept
- Colas Amblard, avocat, NPS consulting et président de l’Institut ISBL
- Julien Bottriaux, co-fondateur des Beaux Jours
- Clara Bourgeois, directrice du Pôle Culture & Santé en Nouvelle Aquitaine
- Elise Depecker, directrice d’ATIS
- Christian Sautter, président d’honneur de France Active, ancien ministre
- Fabien de Castilla, entrepreneur social, Eclosion
- Christophe Lossot, docteur en droit
- Juline Jourdain, écrivaine-biographe, Des ronds dans l’eau
- Christian Laine, président de la fondation INFA
- Thibaut Ribet, co-fondateur Les Pandas Roux
- Méri Réale, entrepreneure, herboristerie et innovation sociale
- Rachid Zamani, gérant, Scop Co-Savoirs
- Julien Duranceau, président fondateur, Tiers Lieu La Matière
- Faustine Waeckel, accompagnatrice ESS
- Stéphanie Mazet, co-fondatrice, Mundao / Popotine
- Etienne Mazet, président et co-fondateur, Mundao / Popotine
- Xavier Demangeon, président, SAS Sayaris
- David Le Norcy, consultant accompagnateur Hestia, coopérative Co-Actions
- Marie Leugé Maillet, directrice, agence Tact
- Thomas Muselier, président, agence Tact
- Pierre-Luc Mellerin, Coorace, dispositif national de soutien des PTCE
- Sophie Audrain, réseau HAPA
- Bastien Bernela, enseignant chercheur et vice-président, Grand Poitiers
- Brigitte Loirat, présidente, Ashanah
- Éric Bureau, directeur général, Enercoop Pays de la Loire
- Benoît De Guillebon, président de l’APESA
- Louise Fontaine, directrice, L’Alternative Urbaine Bordeaux
- Alain Bouchon, co-fondateur des CAE ACEASCOP et SCOPADOM, administrateur CRESS Nouvelle-Aquitaine
- Tiphaine Ardouin, adjointe à la démocratie permanente Bordeaux
- Alban Corbierlabasse, directeur général, Friche la Belle de Mai
- Cécile Le Maitre, co-directrice, Chrysalide
- Cédric Hamon, directeur, Inter-Made
- France Joubert, animateur Pacte du Pouvoir de Vivre 86 et fondateur du Centre de Ressources des Groupements d’employeurs
- Anne Charpy, présidente fondatrice, VoisinMalin
- Stéphane Bossuet, PDG SCIC Cooproduction
- Antoine Détourné, délégué général, ESS France
- Delphine Empio, directrice déléguée à l’innovation territoriale
- Julie Chabaud, Labo furtif
- Marine Parent, fondatrice et gérante, Oyena
- Florence Jardin, maire, Migné-Auxances
- Georges Volta, bénévole Solidarité Paysans engagé Fonds de dotation Jean Cadiot pour Solidarité Paysans
- Hugues Delplanque, responsable énergie bas carbone Loire Atlantique Développement
- Jocelyne Genin, ingénieur territorial
- Philippe Eon, philosophe, consultant politique énergie climat
- Claire Boulanger, accompagnatrice des acteurs de l’intérêt général en France et à l’international
- Emmanuelle Chaplault, co-gérante Coopérative Odyssée Création
- Romain Le Chéquer, directeur de Fondation
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