Echanges avec Alice le Dret, consultante-associée d’Ellyx et formatrice à la stratégie d’impact
Comment abordez-vous les démarches d’évaluation d’impact avec les organisations qui vous sollicitent ?
ALD – Avant tout chose, nous nous intéressons à la stratégie de l’organisation et à la raison pour laquelle elle formule une demande d’une mesure d’impact. Le plus souvent, elle est motivée par un souci de justification auprès de ses parties prenantes, dans le cadre d’un développement ou d’une recherche de financement, et parfois dans un contexte d’urgence. Mais on s’aperçoit alors qu’une mesure d’impact classique ne répondra que partiellement à ses besoins stratégiques. Les porteurs de projets ou les collectifs sont soumis à d’importantes contraintes financières, de ressources, de cadres d’actions qui les amènent à tordre leurs projets et à obtenir un résultat différent de l’ambition de départ. Ces conditions jouent sur l’impact du projet et sa capacité à résoudre la problématique sociale initialement envisagée. Or une évaluation d’impact ne dira rien de ces difficultés. Nous essayons donc d’aborder l’évaluation d’impact sous l’angle de l’intérêt général et de la transformation. Cette approche ne s’intéresse pas tant aux réalisations passées qu’à la projection de ce que veut faire l’organisation : à quelle problématique entend-elle répondre, avec quelles activités ? A partir de cette ambition formalisée, nous travaillons à mettre en œuvre d’une démarche qui vise à mesurer les effets au fur et à mesure pour suivre la trajectoire d’impact de l’organisation. Dans cette perspective, l’évaluation d’impact est un outil de suivi de la réalisation de l’impact recherché ; et dans le cas où finalement cet impact ne serait pas celui attendu, elle permet de s’interroger sur les activités à réorienter, les cadres à faire bouger, les coopérations à mener… C’est une démarche lourde et complexe à mettre en place, notamment pour collecter les données nécessaires. Si l’on s’arrête au besoin de valorisation de l’action, elle pourra certes nourrir une action de plaidoyer mais elle aura, au final, un apport peu structurant. Selon nous, une évaluation d’impact bien orientée à une valeur de pilotage stratégique et d’amélioration continue.
Est-ce que cette vision de la mesure d’impact est compatible avec les attentes des acteurs qui soutiennent les projets d’innovation sociale ?
ALD – La dimension de valorisation reste importante et c’est un axe fort de la mesure d’impact notamment parce que la situation l’impose dans un contexte de raréfaction des fonds publics comme privés et de mise en concurrence des acteurs. Mais l’idée est plutôt de valoriser l’impact qu’une organisation pourrait avoir, avec des indicateurs à suivre dans le temps. Sensibiliser ses partenaires à la question, c’est les amener à s’intéresser durablement à la stratégie et à la trajectoire d’impact de l’organisation.
Cela implique de se doter de nouvelles formes de gouvernances élargies comme, par exemple, un comité de suivi ouvert à ses parties prenantes. Il peut associer des financeurs, des partenaires techniques, des acteurs institutionnels, des bénéficiaires de ses services ou même des bénévoles en fonction des enjeux de la structure. Il ne s’agit pas de les mobiliser sur des temps de décision, qui relèvent de l’organisation, mais plutôt de les inclure dans une forme de dialogue. Ce type d’espace peut leur permettre d’enrichir les indicateurs à toutes les étapes de la démarche, de discuter des avancées mais aussi des difficultés qui se posent et donc réfléchir sur la manière d’améliorer l’impact. C’est un bon moyen de fédérer et de renforcer les coopérations si nécessaires à la réalisation d’ambition de transformation que l’on peut difficilement mener seul.
Mais cela fonctionne aussi en sens inverse : nous accompagnons par exemple l’Iddac, l’agence culturelle de la Gironde, sur l’évaluation d’impact des lieux culturels dans le département. Au départ, la sollicitation portait sur l’accompagnement d’une association dans la mise en place de sa mesure d’impact. En discutant avec eux, nous nous sommes aperçu que la problématique de l’association pouvait être rencontrée par d’autres acteurs culturels soutenus par l’Iddac. D’une démarche de mesure d’impact classique, qui avait été identifiée comme très individuelle, nous sommes passés à une réflexion collective avec quatre associations qu’elle soutient. Cela a abouti à la construction d’indicateurs partagés et à une formation commune à l’évaluation d’impact. Pour l’institution, cette démarche l’amène à adopter une position nouvelle pour réfléchir plus globalement à l’impact des acteurs culturels et donc à son propre impact et ses modalités de soutien.
Quels conseils donneriez-vous aux organisations qui souhaitent se lancer dans une démarche d’évaluation d’impact ?
ALD – S’il y a un élément crucial à retenir, c’est que l’évaluation d’impact doit s’inscrire aux niveaux stratégique et politique. Elle est encore trop perçue comme un moyen de valoriser les effets produits. Cela s’explique notamment par le fait que la mesure d’impact vient, historiquement, de l’entrepreneuriat social avec ses enjeux d’investissement. Pourtant, l’impact pourrait être beaucoup plus important si les efforts étaient concentrés sur un objectif d’impact. Nous avons par exemple accompagné les collectifs emplois, qui s’étaient accordés sur une question évaluative : dans quelle mesure et comment améliorons-nous la qualité de l’accompagnement des demandeurs d’emploi ? Pour y répondre, l’un des enjeux de l’évaluation de cet impact à plusieurs fut d’abord de clarifier la vision et les objectifs en commun. Ensuite, nous avons pu formaliser une méthodologie et des outils utilisables de façon autonome par les différents Collectifs Emploi.
Ensuite, qui dit stratégie dit pilotage et gouvernance. Sur la question du pilotage, évaluer son impact sérieusement prend du temps et des ressources, autant les investir le plus judicieusement possible. Une mesure d’impact classique se fera rarement en moins de 6 mois. Et si on s’inscrit dans un suivi de sa trajectoire, cela dépendra de la temporalité qu’on se donne pour suivre son impact. Dans tous les cas, il faudra la piloter opérationnellement, l’animer en interne et qu’elle soit portée sur toute la durée. L’exercice n’est pas simple à concilier avec le quotidien souvent chargé des structures. En revanche, il faut aussi laisser du temps aux effets pour qu’ils se produisent : s’il est important de le suivre en continu grâce aux indicateurs, observer son impact tous les 2 ou 3 ans est généralement suffisant pour avoir le recul nécessaire.
Deuxième point-clé, la dimension politique : il est important d’avoir une gouvernance extérieure assez ouverte pour partager les indicateurs que l’on souhaite mettre en place. Il faut que ces indicateurs soient perçus comme pertinents des deux côtés afin d’être sûrs qu’ils traduisent et établissent la preuve de l’impact qui est poursuivi. Prenons un acteur qui agit pour la mobilité inclusive, peut-il ignorer la question écologique ? Probablement pas, mais a-t-il les moyens d’agir sur les deux fronts ? Trop souvent l’impact pourrait être plus fort non pas parce que la structure ne fait pas assez mais parce qu’il y a trop de paramètres dont elle ne peut se saisir seule. Ouvrir un dialogue transparent est important autant pour mettre en débat les moyens d’action retenus que les contraintes.
Quelques recommandations de ressources pour conclure ?
ALD – Beaucoup a été écrit sur le sujet, avec des visions contrastées, voire parfois assez critiques. Les approches de la mesure d’impact évoluent et il ne faut pas hésiter à confronter les visions. Cependant pour initier une réflexion concrète sur les différentes dimensions de l’impact, on peut démarrer avec :
- La théorie du changement pour réfléchir à sa stratégie d’impact, avec la note de l’Unicef par exemple.
- Le guide Évaluer son impact social de l’Avise, pour son approche méthodologique.
- Le manifeste Mesurer l’innovation sociale de rupture, orienté coopérations et impact en commun.
- Le mooc Evaluation et mesure d’impact de l’ESSEC, pour les témoignages d’acteurs.