19.11.24

Inhumation, crémation et demain terramation ?

Eclairage avec Pierre Berneur, fondateur d’Humo Sapiens et figure de proue du sujet en France
berneur

Pierre Berneur, Fondateur d’Humo Sapiens

Comment vous est venue l’idée de donner une alternative à l’inhumation des corps ?

Je suivais un parcours classique d’ingénieur – consultant lorsque plusieurs événements personnels sont intervenus en 2015. Ils m’ont amené à m’interroger sur l’avenir de la Société et comment m’en saisir. J’ai alors fait un pas de côté par rapport au récit de société qui place l’Homme comme « maître et possesseur de la nature », selon la formule cartésienne, et entretient une logique de domination et d’exploitation du vivant ou même entre humains. Il me semblait qu’il n’était pas épanouissant ni individuellement ni collectivement.

C’est en cherchant un projet qui s’inscrirait dans un projet alternatif et capable de contrer cette approche que j’ai eu un coup de cœur intellectuel pour le concept de terramation. Il portait en lui une promesse d’évolution en phase avec un nouveau rapport au monde, plus respectueux du vivant et sans opposer croyants et non croyants. Ce mode de sépulture offrait une réponse triple à la fois philosophique, écologique ou encore humaine : elle parlait autant de nouveaux imaginaires, de régénération de la vie que du sens donné à la mort à travers de nouveaux rites.

 

Où avez-vous trouvé l’inspiration pour structurer la démarche d’HumoSapiens ?

Ma porte d’entrée a été le projet belge Métamorphose, qui fait référence, mais aborde le sujet principalement sous un angle écologique et une posture militante marquée. A l’inverse, la version américaine, Recompose, a développé une réponse technologique homologuée et structurée économiquement mais qui néglige l’aspect socio-culturel. Sur la base de ces enseignements, Humo Sapiens est né avec la conviction qu’il s’agit d’une réflexion collective à mener et la volonté de ne pas s’attacher à un dogme si ce n’est celui que nous appartenons tous à la communauté du vivant.

Nous nous sommes structurés en association en 2021, portée par un groupe de personnes d’âge, de genre et de catégorie professionnelle divers, à l’image du caractère fédérateur de cette approche. Très vite, il nous est apparu essentiel d’avoir une rigueur scientifique irréprochable, tant sur le plan technique et que culturel. Nous avons rapidement créé un comité de recherche interdisciplinaire accueillant un philosophe, un sociologue, une anthropologue mais aussi un professionnel du funéraire, un maître composteur, un hydrogéologue…

 

Quels leviers utilisez-vous pour faire progresser la cause de la terramation ?

Nous avons opté pour une logique entrepreneuriale avec comme priorité de faire la preuve du besoin et de mieux comprendre l’attente sociale. Nous avons réalisé une enquête qui montre que 46 % de Français interrogés intéressés par l’alternative, suivie d’une étude sociologique pour mieux identifier les motivations et les freins avant de réfléchir à la solution. Aujourd’hui, nous avons lancé ou candidaté à divers expérimentations : nous participons au projet de recherche F-Compost avec les Universités de Lille et Bordeaux côté scientifique et sommes lauréats d’un appel à projet de la région Pays-de-la-Loire côté collectivités territoriales.

Reste qu’innover en France, et encore plus dans le cadre de l’économie sociale et solidaire (ESS), reste très dépendant des subventions. Si nous avions adopté une approche plus traditionnelle, comme celle d’une start-up « classique », il aurait été plus simple d’accéder à certains dispositifs financiers. Faire de la recherche, de la sensibilisation et du plaidoyer demande des moyens conséquents. Si à court terme, nous cherchons surtout à mobiliser des financements publics et privés, nous parions aussi sur le renforcement de la base d’adhérents et de donateurs compte tenu de la dimension sociétale du sujet. D’ici deux à cinq ans, nous espérons fédérer un grand nombre de citoyens et constituer ainsi une force économique et politique importante.

 

Quels sont les enjeux d’Humo Sapiens pour les prochaines années ?

Nous avons un enjeu majeur à consolider notre modèle, tout en menant en parallèle des expérimentations de terrain. En 2026, ce projet s’inscrira dans une dynamique plus large, celle d’un programme global de recherche. Depuis peu nous avons formalisé un projet stratégique avec l’appui d’Ellyx. Il était essentiel d’élaborer une vision à plus long terme, avec pour objectif de rendre la terramation accessible, non seulement sur le plan technique, mais également dans ses dimensions socioculturelles et juridiques.

Notre démarche ESS, qui privilégie des principes comme la recherche ouverte, l’open source, ou le partage de connaissances, pose clairement des défis. Lorsque des discussions portent sur la valorisation des brevets ou la propriété intellectuelle, nous nous heurtons parfois à des incompréhensions ou des visions différentes. Notre priorité est de trouver des partenaires partageant notre vision loin de tout dogmatisme technologique. Nous avons déjà réussi à obtenir le soutien de certains acteurs économiques. Par exemple, le soutien financier de la MAIF, qui dans le secteur du funéraire compte parmi les acteurs partageant le plus nos valeurs, a été essentiels pour légitimer notre démarche dès le départ.

Enfin, notre dernier défi est celui de la communication. Notre couverture médiatique reste faible, en grande partie parce que le sujet est complexe et qu’il subsiste un fossé culturel autour de ces questions. Parce que  nous sommes désormais reconnus comme la structure française de référence sur ce sujet, il nous faut diffuser un récit clair et mobilisateur.

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Ellyx

Collage représentant des personnes agençant des formes
Collage représentant des personnes observant une feuille