Par Laura Douchet, associée et responsable scientifique de la SCOP Ellyx
Première parution dans Le Monde du 27-28 octobre 2024
Les mécanismes de soutien actuels opèrent sans que leur logique d’impact en termes d’emplois durables, de transition écologique ou sociale soit clairement posée. Un programme de recherche & développement nécessitant l’extraction importante de terres rares situées hors de France sera financé dans les mêmes conditions que celui ayant pour finalité une relocalisation industrielle ou amenant une plus forte sobriété énergétique. Le propos n’est pas ici de suggérer que les innovations portées par les entreprises commerciales seraient intrinsèquement « mauvaises » d’un point de vue sociétal. Tout simplement leur finalité n’est pas prioritairement de répondre à des enjeux d’intérêt général. Quand elles ciblent des enjeux sociétaux, ce qui arrive tout de même fréquemment et heureusement dans des domaines comme la santé ou l’énergie par exemple, elles le font dans des cadres contraints qui peuvent positionner la recherche de lucrativité avant la contribution au bien commun. Ces mécanismes profitent prioritairement à des entreprises commerciales dont les démarches de recherche & développement sont essentiellement centrées sur la mise sur le marché de nouveaux produits et services. Ainsi une société privée commerciale travaillant sur un dispositif innovant favorisant la bien-traitance dans ses établissements d’accueil pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) percevra du crédit impôt recherche. Le même programme de recherche & développement, s’il est porté par une association ou une collectivité (qui gèrent ensemble les trois quarts des EHPAD de notre pays), ne sera pas aidé au titre de ces dispositifs. Il en est de même sur la petite enfance, la santé, le logement, la mobilité, les services de proximité, l’éducation, la culture, le sport, l’alimentation, la transition agricole.
En effet, sont exclus en tant que bénéficiaires les associations non fiscalisées, ONG, collectivités, et autres acteurs publics de proximité, dont le cœur d’activité est davantage positionné sur des logiques d’utilité sociale ou d’intérêt général. Mais les associations ont également démontré, par le passé, leur capacité incroyable à ouvrir de nouvelles perspectives, que l’on songe à l’économie circulaire et au réemploi, à l’économie de proximité, aux services à la personne, à l’éducation populaire, à la protection de l’environnement. Il nous semble temps de créer des mécanismes permettant de rééquilibrer l’effort de financement. On aurait avantage à fonctionner en trois temps. Premièrement, acter le principe d’un rééquilibrage de la contribution de la communauté nationale vers des innovations qui sont directement positionnées sur des enjeux sociaux, économiques, démocratiques et écologiques. Autrement dit, réajuster la politique d’innovation (technologique et lucrative) vers l’innovation dite « sociale ». Deuxièmement, assumer qu’un tel rééquilibrage ne doit pas s’opérer par des remises en cause de court terme qui viennent fragiliser des opérations et actions en cours au sein des entreprises françaises, qui attendent chaque année fébrilement qu’un dispositif soit ou non maintenu, fragilisant leurs succès et les emplois qu’elles impliquent. Troisièmement, plutôt que d’opposer les mondes de l’entreprise commerciale positionnée sur le Marché et celui de l’organisation non lucrative, qu’elle soit publique ou associative, opérant pour le compte de la Société, créer un mécanisme de solidarité entre les deux, basé sur le principe commun de la recherche scientifique, de la créativité et de l’expérimentation.
Une telle démarche militerait ainsi pour la mise en place d’un fonds d’abondement des innovations portées par des collectivités et associations, à partir de la collecte d’une quote-part du crédit impôt recherche perçu par les entreprises innovantes, cinq années auparavant. Autrement dit, une entreprise percevant une réduction de 200.000 euros d’impôt en 2025 au titre du CIR, se verrait contrainte de reverser 20% de ce montant accordé par l’Etat en 2030. Ce mécanisme permettrait de dégager des financements à hauteur d’1,2 milliard d’euros pouvant être utilisé, sous les mêmes règles d’encadrement scientifique, sur des démarches relatives à la modélisation des habitats inclusifs pour personnes âgées ou handicapées, des programmes autour de la sécurité sociale de l’alimentation, des expérimentations dans le monde de l’éducation, ou sur les enjeux d’emploi à l’instar de la démarche Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée. Dans le même temps, pendant cinq années, les entreprises commerciales percevraient le crédit impôt recherche dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui, permettant ainsi de sécuriser leurs opérations de recherche & développement.
Les besoins qui ont été soulevés et débattus lors des dernières campagnes électorales, de la désertification médicale au vieillissement de la population, des inégalités territoriales à l’intégration de chacun, ne seront pas travaillés à partir des besoins d’innovation industriels. Établir une solidarité entre pouvoirs publics, entreprises, société civile et acteurs de la recherche à partir du principal instrument de financement de l’innovation, le crédit impôt recherche, ne serait-il pas le signe qu’il est possible de se projeter, ensemble, dans une société qui se projette dans l’avenir avec l’ensemble de ses ressources ?